Une anthologie de journaux : pourquoi et comment ?

Cordoue, 18 février 2006

Conférence de clôture du Congrès international
Las palabras y los dias. Un enfoque comparatista del diario
(
Faculté de Philosophie et de Lettres)

           

    Je me suis posé cette question pour la première fois en 1999-2000, quand j’ai choisi de faire un séminaire de maîtrise sur le journal personnel à Villetaneuse (Université Paris-Nord). J’avais souvent touché au journal, dans mon enseignement, mais toujours dans un cadre plus général, à propos des écritures de soi. Maintenant, il devenait l’objet central, et même unique, de mon cours. Nouvelle pour moi, la situation l’était aussi, dans une certaine mesure, pour l’enseignement français. Les journaux n’entrent pratiquement jamais dans le « canon » des programmes universitaires. Jusqu’à présent aucun journal n’a figuré au programme de l’agrégation. On en parle toujours latéralement, comme d’une pratique mineure ou d’un outil documentaire. Il y a des textes plus riches à faire lire, des choses plus importantes à enseigner. Cette négligence ou ce dédain cachent un certain embarras. En réalité, ne sachant trop comment enseigner le journal, on a tendance à se raccrocher à un journal, d’un auteur dont on est spécialiste, et qu’on va envisager comme « œuvre ». Mais le journal est-il une œuvre ? N’est-il pas plutôt une pratique immense, extérieure à la littérature institutionnelle, comme l’est aussi la correspondance ? Et comment l’enseigner à des étudiants qui en ont peu lus – le plus souvent quelques journaux contemporains (dont le leur !), et qui sont ignorants de l’histoire de cette pratique ?

    Je laisse de côté, pour l’instant, le problème de savoir si les journaux publiés sous forme de livres sont vraiment représentatifs, mais ces journaux eux-mêmes sont relativement inaccessibles aux étudiants : rares sont les éditions de poche, et l’acquisition des volumes, parfois anciens, et souvent… volumineux des éditions classiques n’est pas une priorité des bibliothèques universitaires. Pour mon séminaire, mon souci était de faire tout de suite lire des journaux aux étudiants, de leur en donner la possibilité et le goût. J’avais deux méthodes. À la première séance, j’apportais, tirés de ma bibliothèque, une vingtaine de journaux les plus hétéroclites possibles et surtout les plus minces : j’appelais cela des « journaux nains », par opposition aux « journaux monstres », qui font peur. Chaque étudiant devait en choisir un ou deux et faire en trois minutes, à la séance suivante, un compte rendu oral de sa lecture. Mais pour le long terme, ces picorages hétéroclites devaient laisser place à un instrument de travail qu’il fallait inventer parce qu’il n’existait pas : une anthologie.

    J’exagère : il en existait bien une, celle de Maurice Chapelan, publiée en 1947 sur le mauvais papier de l’époque, depuis longtemps indisponible (on ne la trouve que chez des bouquinistes) et surtout assez dissuasive : des tranches trop épaisses et morcelées de journaux trop semblables, présentés dans une perspective ambiguë, mi favorable, mi nosographique. On se promenait dans un jardin, mais c’était peut-être le jardin d’un hôpital. C’était un livre triste, un contre-exemple.

    J’ai donc commencé à élaborer une sorte d’anthologie-feuilleton que je livrais, semaine après semaine, à mes étudiants. Elle leur arrivait non pas en un bloc compact, mais au compte-goutte. La durée d’un « semestre » en limitait le nombre à une dizaine de « livraisons ». Bien sûr, à la différence du lecteur d’anthologie, qui lit « à la carte » en picorant à son gré dans des séries copieuses, mes lecteurs avaient chaque semaine un menu à prix fixe, sans choix possible, mais ils risquaient moins la satiété, et ils vivaient cette expérience de lecture selon un rythme périodique accordé à celui du journal (et j’ai pu souhaiter qu’ils tiennent un journal de cette lecture).

    Mon principe était le suivant : isoler dans le journal choisi une tranche cohérente qui corresponde à une unité de temps : une semaine, un mois, une année (parfois une quinzaine, ou deux mois), et donner cette tranche en entier, sans coupure, sans notes ni commentaires. L’unité de temps était mentionnée dans le titre de la livraison, qui se présentait sous la forme d’un léger polycopié agrafé de quelques pages : « Une semaine d’Amiel », « Un mois d’Eugénie de Guérin », « Un an de Catherine Pozzi », etc. (on trouvera la liste complète au début de la bibliographie).Quelquefois je ressaisissais le texte moi-même, le plus souvent je faisais un montage de photocopies. Une brève introduction donnait les explications nécessaires, avec des références bibliographiques qui permettraient (c’était l’un des buts visés) qu’alléché, le lecteur puisse poursuivre sa lecture.

            Je reviens sur mes trois principes.

            1) Donner une tranche complète, s’interdire les coupures internes. Toute coupure serait une trahison du rythme du journal, de ses inégalités, de ses régularités. Le journal est une sorte de musique. Il a ses temps forts et ses temps morts. Personne ne se permettrait d’enlever dans une sonate des notes, des silences, des reprises, sous prétexte de la transmettre plus facilement, ou même de l’améliorer ! Mais c’est vrai que la tentation est grande (j’y ai cédé parfois, on le verra plus loin) de « sculpter » un journal pour le rendre plus intense ou plus cohérent. Il faut savoir résister. La situation est d’autant plus difficile que le mauvais exemple est parfois donné par des écrivains contemporains ou des éditeurs qu’on peut soupçonner d’avoir « amélioré » leur propre journal (écrivains) ou ceux qu’ils publient (éditeurs). D’autre part, il est intéressant de pouvoir comparer le rythme de journaux différents. Une année du journal de la jeune Catherine Pozzi tient facilement dans une semaine de celui d’Amiel. Les études de rythme des journaux en sont à leurs débuts, et je voulais y sensibiliser mes étudiants.

            2) Ne donner aucune explication en note. L’intrusion d’un tiers entre vous et le journal est plus pénible qu’utile. Il est normal qu’on ne comprenne pas des allusions, qu’on ne sache pas qui est qui. Cela fait partie du « compagnonnage » qu’est la lecture d’un journal : on apprend peu à peu à s’orienter dans l’univers d’un autre. Le mystère est lié au plaisir du « direct », à la sensation de contact. On finit par deviner pas mal de choses. Un journal est un peu comme un local obscur dans lequel on entre brusquement. Au début, on ne voit rien. Avec le temps, on devine les formes, les silhouettes. Ceci dit, il m’est arrivé d’être éditeur de journal. J’ai édité en particulier le Journal de Lucile Desmoulins, la jeune épouse du révolutionnaire Camille Desmoulins. Comment faire pour transmettre au lecteur, s’il la souhaite, l’information qu’on a laborieusement amassée ? Il faut être discret. Je n’ai mis aucun appel de note dans le texte. C’est une pollution qu’il faut éviter à tout prix. Il est facile de mettre les notes à part, dans l’ordre chronologique des entrées, ou de regrouper les explications concernant les personnes après le texte du journal, et sans interférence avec lui.

            3) Dernier principe, destiné à motiver et stimuler le lecteur : le découpage ne doit pas seulement correspondre à une unité de temps, mais aussi à une unité de sens (d’action ou de thème). C’est là une dérive relative, ou une forme de trahison, par rapport à la liberté de la forme journal : elle est par définition ouverte sur un avenir imprévisible (quand on écrit son journal, on a des hypothèses de suite, des modèles d’écriture, comme on a dans la vie des projets et des attentes, mais c’est la vie qui décide), et on va la refermer sur une structure aristotélicienne avec un début, un milieu et une fin. Il faut nuancer : le journal est ouvert pour celui qui écrit, au moment où il écrit, mais ensuite, au fur et à mesure qu’il s’accumule derrière lui, il s’« autobiographise », si je puis dire. En isolant des épisodes, on va dans le sens de cette reconstruction. Mon idée était de construire chaque extrait autour d’une unité, pour qu’on puisse les lire soit comme des petites nouvelles (c’était le cas pour mes extraits de Victor Hugo, Goncourt, Matthieu Galey), soit comme des sortes de poèmes (Eugénie de Guérin, Catherine Pozzi). On est aidé dans ce travail de « centrage » par les très fortes cohérences thématiques (obsession ou spécialisation) de la plupart des journaux. Une remarque annexe sur cette « autobiographisation » de la lecture : c’est l’inverse de ce qui se passe sur l’Internet, où, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le lecteur partage avec le scripteur d’un journal son ignorance de l’avenir.

            Cette première tentative pédagogique est restée en suspens. J’ai un instant imaginé la prolonger en construisant sur ce principe un gros volume dans la collection « Bouquins » chez Laffont. Composées de textes courts, les anthologies doivent être elles-mêmes longues : leur attrait tient au fait qu’au second degré le lecteur, au milieu de ce florilège, pourra à son tour choisir. Mais moi-même, comment avais-je fait mon choix ? Pourquoi, dans l’immensité des journaux existants, avais-je élu tel journal plutôt que tel autre ? Je ne l’ai pas encore expliqué, tout simplement parce que, à l’époque, je n’avais pas réfléchi en le faisant ! J’y étais allé à l’instinct, au coup de cœur, comme dans une conversation familière où l’on cherche à faire partager ses lectures favorites. C’étaient des journaux que j’aimais, et sur lesquels j’aurais volontiers fait travailler mes étudiants. Derrière ces choix, il y avait des partis pris institutionnels et idéologiques. J’étais resté au plus près de la littérature « canonique », d’auteurs reconnus comme écrivains, alors que, par ailleurs, j’étais depuis de longues années engagé dans une exploration du journal fondée sur des critères très différents. Et cette exploration-là, j’ai mis du temps à réaliser qu’elle impliquait elle aussi une démarche

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            « Histoire et anthologie » : c’est le sous-titre du livre sur Le Journal intime que je viens de publier avec Catherine Bogaert, conclusion provisoire d’une aventure engagée il y a dix ans, en 1996. L’idée d’une anthologie nous est venue seulement en 2004, et il nous est apparu alors que, comme Monsieur Jourdain de la prose, nous faisions depuis longtemps de l’anthologie sans le savoir. En effet, une exposition n’est rien d’autre qu’une anthologie « sur pièces originales ». Et cette anthologie est le moyen de représentation d’un corpus qui suppose d’être constitué à partir d’une définition. Je travaille sur le journal depuis 1987, mais c’est seulement après l’exposition de 1997 (Un journal à soi, Lyon, Bibliothèque municipale) que j’ai entrepris d’expliciter, a posteriori, la définition qui sous-tendait mon travail : je suis vite arrivé à une formule aussi laconique et large que celle qui m’avait servi pour l’autobiographie avait été étroite et bavarde. Pour moi, le journal est une « série de traces datées ». L’inscription du temps est le trait commun à tous les journaux, et le fil conducteur de l’histoire de cette pratique. Les caractères « personnels », puis « intimes » et, en fin de parcours, « littéraires » sont des greffes ou évolutions secondaires. Cette perspective anthropologique, qui a été la mienne depuis le début, avait des conséquences sur la nature même du corpus à rassembler, puis à illustrer par la voie anthologique.

            La première question à se poser est la suivante : peut-on appréhender le journal uniquement à travers l’imprimé et le publié ? C’est une question qui se posera sans doute un peu autrement quand on fera l’histoire récente du journal, depuis les années 1990, avec l’intrusion de l’ordinateur (pour la première fois, l’imprimé devient la forme originale) et de l’Internet (pour la première fois se met en place un système de publication instantanée et sans sélection). Mais pour l’époque antérieure, des débuts de l’humanité à la fin des années 1980, cette double question se pose. Je ne nie pas la possibilité d’étudier le journal uniquement à partir de l’imprimé, ce serait absurde, mais je voudrais en montrer les limites. Pour les autres genres littéraires, remonter en amont vers le manuscrit est une curiosité secondaire, qui est de l’ordre de ce qu’on appelle en France les « études génétiques ». On peut donc travailler sur le texte publié seul. C’est ce qu’a fait pour le journal Michel Braud dans un livre passionnant qui vient de paraître en même temps que le nôtre, La Forme des jours. Pour une poétique du journal personnel (Seuil, 2006). Si l’on envisage le journal comme une « pratique de vie », en revanche, la remontée vers les documents originaux est une nécessité, pour deux raisons :

            - du côté de l’imprimé, parce que le journal original comprend une masse d’informations qui disparaît à l’impression : le support lui-même, la mise en page, la graphie, qui sont les signes de la personne et portent la marque directe du temps ; dans sa fonction même de signe, le journal est une œuvre unique, comme l’est l’œuvre d’art. D’autre part, il arrive que, pour pouvoir être imprimés, les journaux soient abrégés ou altérés, leur masse les rendant impubliables tels quels. Il faut souvent attendre une centaine d’années pour connaître le texte réel d’un journal pourtant célèbre : c’est seulement depuis 1994 qu’on connaît le texte « complet » du journal d’Amiel (encore ne l’est-il pas vraiment), et le journal de Marie Bashkirtseff, malgré deux éditions intégrales en cours, est encore inconnu pour ses cinq dernières années.

            - du côté du publié, parce que le nombre de journaux publiés est ridicule par rapport au nombre de journaux qui s’écrivent. 8% des Français disent tenir une forme quelconque de journal – sans doute deux à trois millions de personnes. On publie en France environ 80 journaux par an – dont la moitié sont des journaux du passé. Question de méthode : la partie visible est-elle homologue à la partie invisible ? Réponse de méthode : impossible de répondre tant qu’on n’a pas exploré la partie invisible ! Objection de méthode : si elle est invisible, comment allez-vous la voir ? Réponse : dans les archives publiques et privées pour le passé, et, pour le présent, par appel public à l’immense foule des diaristes. Ce qui domine dans la production imprimée, ce sont les journaux littéraires et les journaux de guerre. Voici deux faits qui montrent l’extraordinaire distorsion entre la réalité et l’image que propose la production imprimée. Dans l’imprimé, 85% des journaux sont masculins, 15% féminins. Dans la réalité, selon les enquêtes du Ministère de la Culture, 60% des journaux sont tenus par des femmes. Les femmes écrivent, les hommes publient. D’autre part, sur le marché de l’édition français, il n’y a pratiquement plus aucun journal d’adolescente, alors que c’est une pratique gigantesque (presque une adolescente sur deux s’essaie au journal) et alors que, paradoxalement, la forme « journal » est utilisée comme ersatz et comme appeau dans la littérature pour la jeunesse (des journaux stylisés qui ressemblent fort peu aux journaux réels).

            Le choix « anthropologique » qui me fait souhaiter remonter aux journaux réels n’est pas seulement un choix scientifique, il correspond aussi à une pulsion de curiosité, au goût du contact humain, à une émotion devant les traces directes – ce qui définit le profil d’un « amateur de journaux ». Peut-être y a-t-il deux profils opposés, mais complémentaires, en ce domaine : le bibliophile, friand d’éditions originales sur papier de luxe, et le fouineur de brocantes, dont le cœur palpite devant de vieux cahiers manuscrits vendus à l’encan. Ce dernier profil est celui d’un certain nombre de membres de l’Association pour l’autobiographie (APA), et notre fonds recèle des « bouteilles à la mer » étonnantes. L’étude du journal a donc une dimension archéologique : on vit dans l’attente de nouvelles trouvailles. Dans Les Baromètres de l’âme (1990), Pierre Pachet a étudié la naissance du journal intime au tournant des XVIIIe et XIXe siècles en se fondant sur une poignée de textes imprimés : les textes en archives ne dresseraient-ils pas un paysage autrement riche et compliqué ? Quand j’ai commencé à travailler sur les journaux de jeunes filles au XIXe siècle, les meilleures études critiques sur le journal n’en mentionnaient que quatre ou cinq, j’en ai retrouvé plus d’une centaine, et Marilyn Himmesoëte, qui a pris le relais, a élargi encore le corpus. L’étude des « écritures ordinaires » doit se fonder sur des séries de textes, le plus souvent inédits.

            J’ai été frappé de retrouver ce goût presque physique du document intime chez le grand ancêtre des études sur le journal, l’anglais Arthur Ponsonby, dans son beau livre de 1929, English Diaries, qui marie la forme du dictionnaire avec celle de l’anthologie.

            Pendant plusieurs années, j’ai donc plongé dans un monde confidentiel, celui des archives, et dans le monde invisible des pratiques privées de nos contemporains, par le biais d’enquêtes, mais aussi grâce aux réseaux d’amitiés tissé par des associations comme l’Association pour l’Autobiographie et Vivre et l’écrire. Mais très vite je me suis trouvé devant un problème de transmission : pouvais-je revenir au livre pour communiquer une expérience que je lui reprochais de limiter ou d’altérer ? Je m’en suis d’abord tiré en altérant moi-même la forme livre : Le Moi des demoiselles (1993) propose un journal de terrain et un inventaire archéologique. Puis j’ai décidé d’abandonner le livre et de faire une exposition : Un journal à soi, la passion des journaux intimes (Lyon, Bibliothèque municipale, 1997), dont Catherine Bogaert fut la commissaire. L’histoire que je vais raconter est paradoxale : en effet, après avoir violemment tourné le dos au livre, nous sommes revenus à lui par petites étapes, finissant par publier, presque sans illustration, une anthologie imprimée. Je vais reparcourir ces étapes, de l’exposition de 1997 au livre-album de 2003, et de celui-ci à l’anthologie de 2006, en les examinant sous l’angle de l’anthologie.

L’exposition (1997)

            En 1997, nous avons montré à peu près 250 pièces originales sous vitrines. Nous avions deux « échelons » de choix à faire.

            D’abord le « format » de l’extrait. Par définition, il était court : il se limitait à ce qu’on peut montrer d’un cahier ouvert. De plus, le texte n’était pas forcément coupé comme nous le souhaitions (que de beaux passages chevauchant d’un recto à un verso !). L’extrait allait engendrer à la fois fascination (c’était l’objet original) et frustration : impossible de tourner la page pour poursuivre la lecture ! D’autre part le rythme d’un journal demande pour être perçu une certaine étendue. Nous avons eu recours à d’autres moyens pour le rendre sensible : série de cahiers, diagrammes. Enfin dans la mesure où la moitié du temps il s’agissait de journaux inédits écrits par des inconnus, la curiosité des visiteurs ne pouvait se satisfaire en se reportant ensuite à un livre. D’où l’importance des cartels qui accompagnaient chaque objet : à la fois pour la contextualisation, et pour la transcription, qui souvent débordait la page exposée. D’où, autour de chaque journal, un « appareil » assez lourd (mais facultatif pour le visiteur) qui est repris intégralement dans le catalogue. Les transcriptions, plus ou moins étendues, allaient former, sans que nous l’eussions perçu alors, l’une des bases de la future anthologie.

            Ensuite le choix des journaux eux-mêmes. Il a résulté d’un long va-et-vient entre l’exploration empirique des corpus possibles, et la construction d’une grille méthodique. Nous ne voulions rien exclure. J’avais construit une sorte de scénario, parcourant la vie d’un journal de la première à la dernière page, fil conducteur sur lequel venaient se greffer, plus ou moins habilement, tous les aspects de nos analyses. Une fois la grille bâtie, je me souviens de nos longues séances de travail pour choisir les journaux que nous montrerions. La place était limitée, et il fallait viser juste. Pour chaque « unité » ou « scène », nous avions dressé de longues listes de candidats. Ensuite nous choisissions en fonction de quatre critères :

- la pertinence intellectuelle par rapport à notre démonstration ;

- la force visuelle ;

- la plus ou moins grande disponibilité (selon les sources de prêt)

- la complémentarité (éviter les doublons, décliner les variations d’un même modèle,   les facettes d’un problème, etc.)

Tous ces critères sont importants, mais le premier est déterminant. En effet les anthologies sont toujours, à un plus ou moins grand degré, des œuvres à thèse. Montrer sert à prouver. L’esthétique ou l’idéologie de base peuvent être plus ou moins discrètes. Mais toutes les anthologies comportent au minimum une brève déclaration d’intention ou de méthode, au maximum un important essai liminaire. Cet essai, on le verra par notre exemple, peut parfois être aussi long que l’anthologie elle-même !

            Dans notre exposition, ce discours d’escorte (qui se présentait comme « au service » de l’exposition, alors qu’il la gouvernait) tenait sur une trentaine de panneaux explicatifs jalonnant la visite. Ce discours était discret, mais impérieux : sans lui, l’exposition serait retombée à l’état de fatras. En effet, elle n’avait pas d’autre principe d’organisation visible : elle ne suivait pas la chronologie, et les cahiers d’un même diariste pouvaient, selon les besoins de la démonstration, être disséminés aux quatre coins de l’exposition (à la grande indignation de certaines institutions qui avaient prêté des manuscrits et s’attendaient à des « vitrines d’auteur »). Chaque journal pouvait, au premier degré, se regarder pour lui-même, mais il était en même temps aimanté dans notre démonstration : sa place, son voisinage et finalement son sens étaient déterminés par la syntaxe de notre discours.

L’album (2003)

        
Nous avons eu du mal à faire le deuil de notre exposition : au bout de trois mois, les 250 journaux qui avaient fraternisé ont dû être dispersés. Le catalogue ne représentait que la partie « texte » et retombait dans la sécheresse et l’abstraction de l’imprimé. Mais j’ai eu de la chance : les éditions Textuel, spécialisées dans les livres albums, m’ont tendu la main, et j’ai sauté sur l’occasion. En 2003, Catherine Bogaert et moi avons publié, sous le même titre, Un journal à soi, mais avec le sous-titre Histoire d’une pratique, un livre qui a deux dimensions nouvelles.

            D’abord, il développe les indications schématiques des panneaux de l’exposition en un véritable texte. Cette fois la vision du journal que les exemples doivent illustrer est explicitée, argumentée. La partie historique, qui était embryonnaire dans l’exposition, est largement développée, avec des aperçus nouveaux sur les origines du journal dans les temps modernes, le journal étant fils de deux inventions, celle du papier et celle de l’horloge mécanique, deux révolutions qui ont affecté dès la fin du Moyen Âge les pratiques d’écriture et la perception du temps.

            D’autre part, les fac-similés en couleur, au nombre de 150, parfois accompagnés de transcription, sont maintenant accrochés à la partie du texte dont chacun d’eux dépend. Ils prennent donc valeur d’illustrations, et ne devraient plus être perçus comme une chaîne autonome qu’on peut parcourir sans retour régulier au texte. Hélas, nous nous sommes vite aperçus qu’il n’en était rien ! La plupart de nos lecteurs, du moins dans un premier temps (mais combien de « secondes lectures » y a-t-il eu ?), glissaient d’une illustration à l’autre en faisant l’impasse sur notre texte. Ils se comportaient comme les visiteurs d’une exposition, avec cette différence que le feuilletage d’un livre est plus facile que la visite physique d’une exposition, qu’on y passe moins de temps, qu’il y a moins d’effort à faire, et qu’on peut donc plus facilement se détacher du propos démonstratif. Cela ne faisait pas notre affaire. Nous avons décidé de réagir, de redonner à notre texte une chance d’être lu, et peut-être, ce faisant, sommes-nous tombés de Charybde en Scylla.

Le livre (2006)

            Nous avions une autre raison de refondre cet album en un livre plus classique : son prix élevé (52 €), l’empêchait d’atteindre le public plus jeune, moins fortuné, que nous pouvions souhaiter. Mais si on enlevait les illustrations, trop coûteuses, il fallait laisser les exemples, au moins sous forme de transcriptions, appauvries certes de leur aspect graphique et plastique. Fallait-il intégrer ces exemples au fil de notre texte lui-même ? Il en aurait été boursouflé et distendu. Les regrouper en annexe à la fin de chaque chapitre ? Le livre aurait été cloisonné, et les exemples, détachés de la démonstration, auraient perdu leur sens. Il ne restait plus qu’une solution : les regrouper tous après le texte, dans une seconde partie autonome, qui du coup fonctionnerait comme une anthologie. Nous avons pris ce parti, ce qui nous a conduits, de fil en aiguille, à revenir, sans l’avoir voulu, à une situation très classique.

Parmi les 150 exemples de l’album, nous avons d’abord éliminé un grand nombre de textes visuellement séduisants, mais qui auraient été difficiles à « cadrer » dans une anthologie. De plus, nos textes devaient avoir entre 3000 et 5000 signes (4000 signes en moyenne) et former un tout autonome qui frappe et plaise à la lecture : exigence qui n’existait pas quand ils jouaient le rôle d’exemples dans une démonstration. Très vite, nous nous sommes trouvés en train de « sculpter », comme si nous fabriquions des petites nouvelles ou des poèmes en prose : il fallait produire un effet de charme. Il fallait aussi éviter les doublons. Pour ces différentes raisons, beaucoup de textes ont été éliminés, et nous sommes finalement restés avec une quarantaine de textes.

            Chaque texte, avec un petit chapeau de présentation, devait se suffire à lui-même. Dans quel ordre les proposer à la lecture ? Dans l’ordre chronologique, évidemment, d’après la date d’écriture. Cet ordre avait une double fonction : l’une, historique, était de rendre perceptible une évolution ; l’autre, thématique, de montrer l’extrême variété des fonctions et des formes. Dans l’enchaînement, nous avons donc cherché systématiquement la bigarrure, le heurt, la surprise. À partir du moment où les textes avaient une qualité propre qui leur permettrait de résister à un mauvais voisinage, nous pensions qu’ils tireraient même profit du contraste. Une anthologie court le risque d’être monotone, ton sur ton, surtout quand elle illustre une vue étroite du journal. Nous voulions sortir le journal de l’ornière psychopathologique, et de l’élitisme littéraire, laisser souffler tous les vents de la vie en transmettant notre plaisir « unanimiste ».

            Une fois réunis nos quarante textes, rescapés de l’album, nous avons vu qu’il y avait des trous épouvantables : des périodes vides, ou des gammes d’expérience absentes. Et nous avons entrepris, touche par touche, de les combler. C’était comme un tableau dont l’équilibre délicat peut basculer par une adjonction malheureuse, ou s’éclairer par des rapprochements de ton, des contrastes lumineux.

            Ces « trous », je m’empresse de le dire, ne consistaient pas en l’absence de grands auteurs. Nous n’avons pas cherché à avoir « les grands », la « fine fleur » du journal intime, comme le mot « anthologie » peut le faire attendre. Nous ne faisions pas une distribution des prix. Nous n’avons pris ni Jules Renard, ni Paul Léautaud, ni Julien Green. C’était risqué. Imagine-t-on une anthologie de la poésie au XIXe siècle sans Baudelaire ou Hugo ? Certains lecteurs cherchent d’abord dans une anthologie leurs auteurs favoris, ce qu’ils connaissent déjà, et ils ont pu s’en indigner : « Comment, vous n’avez pas mis Untel ? ». Nous avons choisi de privilégier la découverte.

            Une vingtaine de textes ont été ainsi ajoutés, un à un : un journal d’agriculteur, des récits de rêve, ici une touche supplémentaire de journal spirituel, là un journal d’artiste, des journaux d’engagement politique, une expérience homosexuelle, etc.

            Pour ces journaux ajoutés, nous nous sommes permis parfois de faire des montages, en les signalant au début, mais sans les matérialiser par de pénibles points de suspension entre crochets : une mini-anthologie de textes de Stendhal, d’Eugénie de Guérin, d’Amiel sur leur journal, un raccourci amusant du journal d’Edmond de Goncourt à la parution d’un de ses livres, un raccourci tragique de l’humour noir de Matthieu Galey se regardant mourir.

            Ces mini-montages, que nous pourrions nous reprocher comme des artifices, étaient faits, c’était là notre excuse, à partir de journaux publiés. Tous nos ajouts venaient d’ailleurs de textes publiés, c’était un choix. En effet, une anthologie met l’eau à la bouche : on peut souhaiter prolonger sa lecture, chose impossible avec les inédits. Il faut qu’il y ait un service après-vente. Si bien que nous voilà revenus, paradoxalement, en partie du moins, à une anthologie assez classique : contrairement à notre projet initial, nous avons recours à des journaux publiés dont nous n’avons jamais vu les manuscrits…

            Et, second paradoxe, dans la mesure même où notre entreprise sera efficace, nous sommes menacés du même mécompte qu’avec le livre-album : tout le monde va se jeter sur l’anthologie pour y picorer, et reculera devant la lecture suivie des 250 pages de l’essai initial. Il ne nous restera plus qu’à hasarder une quatrième tentative, en publiant l’essai tout seul, sans illustration ni anthologie : et nous serons bien punis, car personne ne nous achètera… Je ne plaisante qu’à moitié : notre aventure montre la puissance de fascination de la forme anthologique. S’il y a donc une quatrième tentative, il est donc évident qu’elle ira dans l’autre sens : nous laisserons tomber l’essai et nous développerons l’anthologie seule aux dimensions d’un livre.

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            Cette anthologie à laquelle nous rêvons, comment la construirons-nous ? Existe-t-il une histoire des anthologies, et une théorie de cette pratique ? Est-elle évoquée dans l’ouvrage d’Antoine Compagnon sur la citation, La Seconde main (1979), ou dans tel volume de Gérard Genette ? L’attention critique s’est sans doute portée sur les recueils de « morceaux choisis » scolaires (régulièrement stigmatisés par les partisans des « œuvres intégrales ») plus que sur les anthologies grand public, qui ne font pas l’objet de prescriptions obligatoires et suivent les lois du marché. L’anthologie plaît quand elle est copieuse et variée. Elle est bien adaptée aux genres courts (poèmes, nouvelles, portraits, essais et pensées), et a priori incompatible avec les genres narratifs longs (épopée, roman, théâtre). Le journal personnel se situe dans l’entre-deux : écriture fragmentaire, il a l’air d’être court, et il est découpé par avance ; mais, écriture périodique, sa lecture n’a vraiment de sens que sur la longue distance. Une partie de la saveur du journal (son compagnonnage avec le temps) échappe à l’anthologie, mais, ceci dit, elle est un bon « apéritif », un bon « starter » : on accroche vite à ces dégustations rapides, même si certains arômes ne se développent qu’avec le temps.

            Quand on consulte les bibliographies, on a l’impression que l’Anthologie de journaux est un sport national dans les pays anglo-saxons, sport quasiment ignoré dans les autres pays. La situation est à peu près la même en Espagne et en France. En Espagne, une seule anthologie publiée en 1963 à Barcelone, et un choix dans la Revista de Occidente en 1996. En France, l’anthologie de Chapelan (1947) devait être suivie d’un second volume, qui n’a jamais vu le jour. En revanche, il existe un sport auquel certains journalistes français aiment jouer : l’anthologie satirique, qui ridiculise la pratique même du journal, ainsi qu’un certain nombre d’écrivains. Pierre Enckell a publié en 1982 un recueil intitulé La Joie de vivre (Genève, Éditions Noir), recueil de 365 citations, une par jour de l’année, d’entrées lapidaires signées de noms illustres et disant en gros : il pleut, je n’ai rien fait aujourd’hui, j’ai mal au dos, etc. On s’étonne qu’on puisse étirer aux dimensions d’un livre une aussi plate et malhonnête plaisanterie. L’été dernier (2005), les quotidiens Libération et Le Monde ont joué chaque jour ou chaque semaine à des petits jeux de ce genre. Le journal intime est en France un des seuls genres littéraires qui se fasse régulièrement insulter. Ainsi le journaliste et romancier Jérôme Garcin vient-il de publier un journal de sa passion pour le cheval (Cavalier seul. Journal équestre, 2006)… avec une préface qui stigmatise la pratique du journal ! Et en 1947, l’anthologie de Chapelan, même si elle présentait dignement ses onze diaristes, les introduisait par une préface assez nosographique. L’anthologie que nous venons de publier est donc la première en France à présenter le journal favorablement. C’est bizarre, mais c’est ainsi.

            Rien de tel en Angleterre et aux États-Unis. Les anthologies y sont ouvertes et valorisantes, elles respirent la bonne volonté, la curiosité humaine et historique, et le goût de la simplicité dans l’écriture. Le faiseur d’anthologie n’hésite pas, parfois, à parler (discrètement) de sa pratique personnelle du journal, sans s’étaler, mais de manière à mettre les lecteurs à l’aise. Tout respire la complicité. L’anthologie est un journal de voyage dans un pays où l’on n’a que des amis. On ne recherche pas les performances stylistiques, on n’a pas de curiosités voyeuristes : on est ouvert à l’expression variée de tous les aspects de la vie humaine. Impossible, dans le cadre de cette brève étude, de parcourir le corpus abondant des anthologies anglo-saxonnes : il en existe plusieurs dizaines. Il m’a semblé amusant de décrire simplement deux anthologies très différentes, celles de Ronald Blythe (1989), raisonnable et classique, et celle de Simon Brett (1987), originale et… problématique, avant d’évoquer en conclusion la manière dont, pour l’instant, j’envisagerais moi-même de me lancer dans l’aventure.

            Ronald Blythe, dans The Pleasures of Diaries. Four Centuries of Private Writing, regroupe en treize chapitres thématiques 68 extraits de journaux. Chaque extrait fait l’objet d’une présentation circonstanciée. À l’intérieur de chaque chapitre, les extraits (de deux à onze selon les chapitres) sont rangés en ordre chronologique. On va donc avoir successivement : Le Diariste comme témoin oculaire ; Le Diariste amoureux ; Le Diariste et les difficultés du mariage ; Le Diariste au village ; le Diariste en naturaliste ; le Diariste malade ; le Diariste à sa boutique ; le Diariste à la guerre ; le Diariste en artiste ; Journaux et Royauté ; le Diariste en voyage ; le Diariste et le désespoir ; le Diariste et la mort. J’ai donné toute la liste pour qu’on apprécie la variété des sujets, mais aussi la cohérence flottante de l’ensemble. C’est un livre agréable et ouvert, mais on peut penser que les titres thématiques, focalisant à l’avance l’attention, désamorcent le suspense propre à la lecture des journaux, et que l’ordre chronologique interne à chaque chapitre engendre un désordre chronologique d’ensemble où l’historicité tend à se dissoudre. Mais chaque diariste voit son individualité préservée, et la vie humaine est présentée dans un large panorama.

            Simon Brett, dans The Faber Book of Diaries, s’est lancé dans une entreprise qui peut sembler aussi folle que celle de Blythe est raisonnable. Le but est le même : montrer la vie humaine dans sa variété, s’ouvrir à tous les styles d’expression. Le moyen, logique et étrange, est de puiser dans un ensemble de 108 journaux environ 1400 entrées (soit une moyenne de 14 entrées par journal) qui seront classées… d’après leur jour de l’année, du 1er janvier au 31 décembre ! donc en 366 « chapitres » (en moyenne quatre entrées de diaristes différents par jour) ! Le but est de produire « les juxtapositions les plus déconcertantes » dans une sorte de journal collectif qui mêlerait, de janvier à décembre, une centaine de vies humaines réparties sur quatre siècles. C’est un tissage vertigineux. Le plus souvent les entrées sont autonomes, données sans information sur leur contexte, parfois elles se suivent sur quelques jours en feuilleton – mais perdues parmi d’autres. On peut partir à la découverte dans une composition dont on est sûr qu’elle n’a aucune visée démonstrative ou thématique, mais qui a peut-être l’inconvénient de dissoudre l’individualité et la durée propres à chaque journal dans un patch-work original mais incohérent. Sommes-nous encore devant une anthologie ? N’est-ce pas plutôt une création littéraire originale, une sorte d’exercice à la Perec ?

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            Je vais rêver, pour finir, à ce que pourraient être actuellement mes propres projets en la matière. Ce serait sans doute une synthèse entre l’anthologie que j’avais esquissée pour mes étudiants, et celle que j’ai réalisée avec Catherine Bogaert dans notre dernier livre.

            À mon premier projet, j’emprunterais la technique des tranches dramatiquement cohérentes, assez amples, coupées selon des unités de temps – semaine, mois, année – ces tranches étant elles-mêmes classées en ordre chronologique, sans aucune organisation thématique, en cherchant la diversité et la surprise.

            Au second, j’emprunterais l’idée de puiser dans toutes les formes de journaux, publiés ou inédits, pour couvrir tous les âges et tous les aspects de la vie : guerre, vie spirituelle, voyage, éducation, vie politique, amour, métier, rêves, livres de comptes, maladie, etc. À partir du moment où la « tranche » sera substantielle et cohérente, on pourra puiser dans des journaux inédits sans créer de frustration.

            J’ajouterai un troisième principe : celui d’un cadrage chronologique. Je voudrais limiter mon anthologie aux journaux écrits entre la fin du XVIIIe siècle et 1914, pour baliser un espace historique limité, mais relativement homogène. Il y a dans l’histoire des civilisations des ruptures violentes, et c’est une illusion que d’envisager tous les journaux comme appartenant à une même et trop vaste synchronie. En France, jusqu’en 1789, la pratique dominante est celle des livres de raison et des chroniques. Le journal personnel émerge lentement à partir des années 1760. Je suis en train de travailler sur cette « émergence », et c’est une sorte de travail archéologique : il faut exhumer des archives publiques et privées, lire, étudier des journaux inconnus, parfois brefs, parfois immenses. Pour limiter à 1914, il y a toutes sortes de bonnes raisons : l’irruption massive du journal de guerre, l’invasion progressive d’un produit dérivé, le journal d’écrivain publié par l’écrivain lui-même, et surtout la grande ignorance où nous sommes encore des pratiques de nos contemporains : il faut attendre que les placards des familles se vident et que les archives publiques se remplissent.

            Je me limiterai évidemment aux journaux francophones. Ce serait pour l’instant une chimère que de dresser une anthologie internationale, alors que chaque culture a eu en ce domaine des habitudes différentes, et que ces spécificités nationales, dans la plupart des cas, n’ont pas encore été elles-mêmes sérieusement explorées. De plus, ce serait une chimère impérialiste que d’établir cette anthologie internationale à partir d’un seul pays : elle ne pourrait être faite que par une équipe internationale. L’anthologie européenne dressée par Hoeke m’a semblé – à moi qui dois avouer lire aussi peu l’allemand que l’espagnol – ne contenir aucun texte espagnol. D’ailleurs, les textes des différents pays devraient-ils être traduits dans une seule et même langue ? Laquelle et pourquoi ? – Ce serait un autre sujet de réflexion que d’examiner quel est le corpus des journaux de chaque pays qui a été traduit, pourquoi, quand et dans quelle langue ? On est encore fort loin d’une Europe du journal intime…

            Cette anthologie 1789-1914, je la vois très grosse, 1500 pages, publiée dans une édition populaire, constituant une sorte de bible de la vie et de l’écriture ordinaires.

            Au moment où je termine cette étude (octobre 2006), on annonce la parution, dans une collection bon marché à visée scolaire (« La Bibliothèque Gallimard »), d’une anthologie présentant de larges extraits, classés thématiquement, de trois « jeunes » diaristes de la fin du XIXe siècle, Jules Renard, André Gide et Catherine Pozzi. Voilà une excellente nouvelle : pour la première fois des élèves ou étudiants pourront lire pour leur plaisir et étudier des textes « canoniques » d’une pratique qui leur est par ailleurs, sans doute, très familière…

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Références et bibliographie


L’anthologie-feuilleton de Villetaneuse (1999-2000) :

Un mois de Benjamin Constant : décembre 1804

Un mois d’Eugénie de Guérin : mai 1838

Une semaine d’Amiel (1) : 19-25 mai 1856

Une semaine d’Amiel (2) :1er-7 octobre 1860

Deux mois des frères Goncourt, janvier-février 1869

Un mois de Victor Hugo : septembre 1870

Un mois de Marie Bashkirtseff : octobre 1877

Un mois de Jules Renard : février 1898

Un an de Catherine Pozzi : juillet-1898-juin 1899

Deux mois de Matthieu Galey : 27 février-30 avril 1984.

 

Nos trois étapes :

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 Espagne :

France :

Allemagne :

Domaine anglo-saxon (quelques exemples et une étude) :